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Le dessin contemporain

Publié dans L'Officiel Galeries & Musées,, N°81, Mars/avril 2017

Autrefois extrêmement codifié, le dessin est désormais transgressif. Il déborde les cadres et les frontières de la surface papier pour s'installer partout. Pourquoi ? Comment ? Le printemps parisien propose un panorama des nouvelles formes que le médium peut revêtir et vous convie à la (re)découverte sans fin d'un genre en pleine vitalité. Drawing Now, Drawing Lab, expositions, nous sommes allées à la rencontre de celles et ceux qui contribuent à placer le mois de mars sous l'égide du dessin contemporain.

 

Inhérent à la pratique artistique depuis toujours, le dessin a néanmoins souffert du rôle mineur qu'on lui a longtemps attribué. Cantonné à l'étape préparatoire, à l'ébauche ou à l'exercice, il a pourtant été la base même de la pratique artistique. Trait par lequel l'artiste exprime son « concept global » pour de Vinci – autrement dit le projet qu'il conçoit autant que la forme qu'il entend lui donner – c'est par lui qu'il étudie et appréhende le monde, qu'il se charge de le retranscrire et de le transformer en œuvre d'art. Le dessin réconcilie l'humain et la perfection de la création divine pour les théoriciens de la Renaissance, qu'il leur permet de reproduire à leur échelle. De l'italien disegno, un Federico Zuccaro le renverse en segno di dio (signe de Dieu), trait d'esprit venu indiquer le caractère ô combien prestigieux du dessin puisque biais par lequel l'artiste parvient à imiter le projet divin. Pourtant le dessin n'aurait su, jusque récemment, être considéré comme une œuvre d'art à part entière. Et si les carnets de Raphaël atteignent des sommes faramineuses aux enchères (42,7 millions de dollars chez Christie's pour une Tête de muse), on a bien du mal à imaginer le maniériste proposer de les vendre tels quels à ses commanditaires.

Le dessin a souffert de cette double nature paradoxale d’œuvre inachevée mais d'exercice prestigieux, de geste spontané et universel resté prérogative de certaines élites. Genre mineur s'il en est, il a ainsi longtemps été le fait des amateurs éclairés, visiteurs de cabinets graphiques à l'affut de la perle rare dans lesquels ceux qui n'avaient pas les codes n'osaient pas pénétrer.

Le revirement semble s'opérer dès les années 1960, avec les artistes conceptuels, qui lui offrent enfin la place que le médium mérite. Au mois de mars, c'est la capitale qui lui rend hommage à travers les différents événements qui lui sont consacrés. Retour sur l'histoire d'un refoulé.

 

POURQUOI LE DESSIN ?

On attribue la naissance du dessin à la fille du potier Butadès qui, pour retenir l'image de son amant appelé à la guerre, aurait tracé d'une pierre noire le contour de son ombre sur le mur de l'atelier de son père, fixant ainsi à la fois la forme et le souvenir de l'être aimé sur le point de partir. De ce trait de cerne qu'elle espérerait indélébile, le potier aurait ensuite fait une sculpture, redonnant la dimension et par là une certaine forme de vie à celui que sa fille ne voulait pas quitter.

L'histoire, racontée par Pline l'Ancien dans son Histoire Naturelle, livre XXXV, est éclairante à plus d'un titre sur la nature du dessin. Immédiat, spontané, il viendrait d'abord pallier la disparition prochaine, fixer à jamais une image que l'on aurait peur d'oublier. Mais, à l'image du potier qui ne se satisfait pas du simple trait, il appellerait également à être prolongé. Considéré par Léonard de Vinci comme le « père de nos trois arts » - soit l'architecture, la peinture et la sculpture -, le dessin leur servirait de base, de point de départ, mais ne pourrait dès lors pas s'auto-suffire. Il serait voué à rester cette œuvre intermédiaire, vite oubliée derrière l’œuvre à laquelle elle aura servi d'ébauche.

 

Pourtant le dessin, dans l'histoire de l'art occidental, a longtemps été considéré comme l'expression directe de l'intelligence humaine, la forme par laquelle s'exprime le « concept global » que l'artiste tenterait de recomposer dans son art, celle qui viendrait contenir une couleur jugée fallacieuse et trompeuse, venue séduire les sens plutôt que l'esprit, et qui toujours dépasserait la main et la volonté de l'artiste tant les pigments qui la composent peuvent être incontrôlables – depuis l'Antiquité jusqu'à la fameuse Querelle du dessin et de la couleur à l'époque classique.

Côté Extrême-Orient, le dessin est l'activité favorite du Lettré. Il permet une spontanéité et une souplesse à même d'évoquer les merveilleux paysages de la nature. C'est parce qu'il est réalisé au pinceau, ce même outil qui sert à l'écriture et à la calligraphie, qu'il est si noble et si prisé. Dans le monde de l'imprimé, il vient accompagner un texte ou le remplacer, prolonger ce que disent les mots, leur servir de modèle à décrire ou encore se substituer à eux. Qu'on pense à la caricature qui peut se passer de légende ou à la vignette de bande dessinée dans laquelle texte et dessin se complètent...

Mais le dessin ne serait-il pas avant tout ce moyen universel par lequel les hommes et les femmes parviennent à dépasser les frontières du langage ? Parce qu'il est le premier biais par lequel l'enfant rend compte de son rapport au monde et le dernier restant lorsque les mots manques ou ne suffisent plus, il est pour Emma Dexter (Vitamine D : Nouvelles perspectives en dessin, Phaidon Press, 2005), le « propre de l'Homme ». Ce moyen d'expression spontané par lequel les hommes et les femmes s'emparent de leur milieu (le graffiti) ou de leur corps (le tatouage ou le Body Art). « C'est le moyen par lequel nous pouvons comprendre et élaborer notre environnement, le déchiffrer et l'accepter en y laissant des marques, des traces ou des ombres pour indiquer notre passage. Empreintes de pied dans la neige, souffle sur la fenêtre, traînée de vapeur d'un avion dans le ciel, lignes tracées au doigt sur le sable, nous dessinons littéralement dans et sur le monde matériel. Le dessin fait partie de l'humanité plus que tout autre procédé plus spécialisé comme la peinture, la sculpture ou le collage. »

 

COMMENT LE DESSIN A GAGNE SES LETTRES DE NOBLESSE

Biais universel d'appréhension du monde, il aura fallu du temps au dessin pour bénéficier de la légitimité et de la faveur qu'il connaît aujourd'hui. Exhibé par les artistes qui, dès les années 1960 avec les conceptuels, sont de plus en plus nombreux à lui ménager une place privilégier au sein de leur œuvre, le dessin contemporain gagne également peu à peu les cimaises des institutions artistiques et donne lieu à de nouveaux essais et traités qui en reconnaissent la vitalité.

En 1975, l'exposition Drawing Now : 1955-1975 au MoMA donne le ton en présentant un ensemble de cent-soixante-quinze œuvres graphiques, déployées du papier jusque sur les murs par quarante-six artistes contemporains. Accompagnée du catalogue d'exposition publié pour l'occasion sous la direction de Bernice Rose, l'exposition lance un engouement bientôt devenu planétaire pour le médium. Suivent et répondent ainsi à l'initiative new-yorkaise de multiples expositions qui étendent sa reconnaissance à l'échelle internationale. Ainsi avec le MoMA (Drawing Now : Eight propositions en 2002 et I am still alive : Politics and Everyday Life in Contemporary Drawing en 2011), le Kunstmuseum de Bonn (Linie, Line, Linea, 2010), ou en France le Louvre et le Musée national d'art moderne (Comme le rêve le dessin, 2005), l'ARC au Couvent des Cordeliers (I Still Believe in Miracles – dessins sans papiers, 2005), le Musée des Beaux-arts de Nancy (Le Temps du dessin, 2010), et la liste est loin d'être exhaustive.

L'élan se poursuit avec la création d'espaces entièrement dédiés au médium à l'instar du Drawing Center new-yorkais fondé dès 1977, de la Drawing Room londonienne ou de la Berlin Drawing Room. Restait à la France à se doter à son tour de ses lieux du dessin. C'est chose faite en 2007, avec la double naissance du Prix de dessin de la Fondation d'art contemporain Daniel et Florence Guerlain et celle du Salon du dessin contemporain, rapidement renommé Drawing Now par Christine Phal et Philippe Piguet ; mais aussi plus récemment avec le Drawing Lab, installé au sous-sol du tout aussi nouveau Drawing Hotel, rue de Richelieu. Et de s'étendre au Grand Paris avec le jeune salon du 6B à Saint-Denis, Le 6B dessine son salon.

Cette ouverture de l'art, des institutions et du marché au dessin contemporain, appelée de ses vœux et perpétuée aujourd'hui par ses acteurs contribue à le faire accepter comme un art à part entière. Mais n'y voyons pas là un nouveau boom ou l'effet d'une mode et privilégions plutôt, avec Vincent Sator, l'idée selon laquelle « le médium est enfin évalué tel qu'il le mérite. Le dessin est enfin considéré aujourd'hui au niveau où il devrait l'être. »

 

LE DESSIN CONTEMPORAIN, TENTATIVE DE DEFINITION

La reconnaissance par le milieu de l'art du dessin contemporain comme forme artistique légitime apparaît comme la résolution de cette double nature antithétique que lui imposa l'histoire de l'art occidental ; mais elle comporte comme revers une définition devenue de plus en plus difficile.

Emancipé des contraintes que lui imposaient les artistes depuis les premières académies de dessin italiennes à la Renaissance jusqu'aux tenants du classicisme, il est désormais reconnu comme œuvre autonome, libre de se développer sur autant de supports que les artistes le veulent, mettant effectivement à mal toute tentative de définition. Et Christine Phal de reconnaître que cet exercice « est un sujet éternel qui nous touche tous les ans, surtout au moment où nous constituons le comité de sélection de Drawing Now », avant de poser comme seul critère fondamental le caractère unique de l'oeuvre présentée, comme une manière de retrouver son hic et nunc, cette aura dont Walter Benjamin voit la disparition à l'époque de la reproductibilité technique de l'oeuvre d'art.

Quand les galeristes que nous avons interrogés s'essayent à trouver une constante, ils en reconnaissent immédiatement la non-exhaustivité. Se prêtant tout de même à l'exercice, Anne Barrault estime que le dessin serait « en général un support papier plutôt que sur toile. Le dessin peut être fait avec les mêmes outils : la peinture, l'acrylique, l'aquarelle, mais serait toujours au moins sur papier ». Vincent Sator aime à y trouver plutôt « cette idée de la prégnance de la main. Face à l'installation ou à l'art conceptuel, le dessin aurait cette force assez universelle de garder ce rapport à la main, beaucoup plus présente et immédiate dans le dessin que dans les autres médiums. » Hélène Lacharmoise a un avis plus tranché car pour elle « c'est la ligne qui fait le dessin et, si on peut faire du dessin sur n'importe quel support – jusqu'au ciel lui-même puisque des centres d'art peuvent considérer le feu d'artifice comme un dessine – et par n'importe quels matériaux, c'est toujours la ligne qui fait le dessin ». Une variété des médiusms dont les artistes et les galeristes partagent néanmoins le goût et qui fait encore, pour Emilie Ovaere-Corthay, la force du genre. Ainsi « le dessin contemporain est peut-être justement une manière d'étendre la définition du dessin, et si on peut trouver du dessin vidéo aussi bien que du dessin obtenu par projections, c'est que le dessin contemporain se caractérise d'abord par une ouverture absolue des médiums. »

Le dessin contemporain serait finalement affaire de subjectivité ; la tentative de le circonscrire, comme ce fut longtemps le cas, à quelque médium, support ou format, ne peut aboutir qu'à une aporie. Elle est d'avance un échec, mais qui vient heureusement témoigner de la vitalité du médium. Et Vincent Sator de souligner qu'il « suffit d'un tour à Drawing Now pour se convaincre de l'extraordinaire diversité du dessin contemporain », trouvant précisément sa force dans « sa capacité à rester indéfinissable », avant d'ajouter « trouver magique qu'on ne sache pas ce qui peut rentrer dans le dessin contemporain. Il y a un fait intéressant avec Drawing Now, c'est qu'on va dans une foire spécialisée dans le dessin mais qu'il est impossible d'en sortir en étant capable de dire ce qu'est le dessin contemporain ».

 

LE DESSIN, LIBRE ET AUTONOME

La diversité des médiums qui peuvent composer le dessin contemporain, le foisonnement de sujets dont il peut s'emparer et la multiplicité de formes qu'il peut revêtir invitent à conférer au genre une liberté et une autonomie complètes. Ce qui était refusé aux ébauches, maquettes ou études des artistes classiques est pleinement assumé par les dessins contemporains. Si les premières peuvent être aujourd'hui considérées comme des chefs-d'oeuvre de virtuosité et d'invention, leur caract-re secondaire d'alors leur reste imprimé pour toujours. Or c'est précisément cet « éternel inachèvement » propre au dessin qui, souligne Emma Dexter, en fait un art de tous les possibles que les artistes sont toujours plus nombreux à expérimenter et dont ils tendent à inverser le statut.

« Il y a une intention différente dans le dessin contemporain et l'artiste peut désormais décider que son dessin est une œuvre finie » remarque Christine Phal. Des propos corroborés par Hélène Lacharmoise pour qui « cette idée de finir l'image, qu'elle soit autonome ou aboutie, relève uniquement de l'intention de l'artiste, qui est le seul juge », ou par Vincent Sator, selon lequel « le dessin représente aujourd'hui une forme autonome et une vraie liberté pour les artistes ».

A cela s'ajoute un indéniable aspect pratique qui rend le médium aussi facilement accessible aux artistes – puisque « il est toujours possible d'avoir un carnet dans sa poche et un crayon. La technique est très simples et comme archaïque, et ne demande pas nécessaire d'avoir autant de moyens ou un atelier aussi grand que pour réaliser d'autres œuvres » notre Anne Barrault -, qu'aux amateurs, éclairés ou non, fortunés ou moins, qui, de l'avis de tous les galeristes, fonctionnent face au dessin bien plus souvent au « coup de coeur », rendu possible enfin par le moindre coût du médium.

Dans The Pedagogical Sketchbook, Klee définissait le dessin comme « une ligne active en mouvement qui bouge librement, sans but. Un mouvement pour le plaisir. L'agent de mobilité est un point qui se déplace vers l'avant ». L'artiste esquissait ainsi les possibles contours d'un art pour l'art véhiculé par le dessin, forme la plus à même de concrétiser ce mouvement « sans but » puisqu'elle est aussi celle qui peut lui en donner un, en déplaçant ledit point « vers l'avant ». Libre de le poursuivre ou de l'arrêter, de le faire aller au gré de sa vision comme de ses émotions, l'artiste trouverait dans le dessin une forme d'émotion immédiate, transmise d'autant plus directement à son spectateur.

Emilie Ovaere-Corthay confie ainsi trouver dans le dessin cette « émotion que l'on oublie peut-être trop aujourd'hui, au profit d'une explication et d'une théorisation trop omniprésentes dans l'art, qui ne saurait plus se passer de concept ». Christine Phal ne dit pas autre chose lorsqu'elle estime pouvoir expliquer la faveur que connaît actuellement le dessin par les « limites auxquelles semblent arriver les concepts et les idées qui ont fait partie de notre enseignement de l'histoire de l'art.

Reconnaissant l'intérêt parfois nécessaire de l'appareillage critique dont s'entoure l'art contemporain, Emilie Ovaere-Corthay privilégie aujourd'hui cette émotion directe e tspontanée qu'elle retrouve avec plaisir dans les dessins de nuages d'un Bernard Moninot. Le trait doux et poétique qui glisse sur le papier avec toute la spontanéité et l'immédiateté rendues possibles par le trait est une porte vers l'imaginaire et l'émotion dont « plus le temps passe, plus [elle] a besoin ».

 

CONTOURS D'UNE REAPPROPRIATION DE L'IMAGE

Spontané, immédiat, premier vecteur de l'émotion, le dessin serait d'autant plus prisé aujourd'hui qu'il apparaît comme un contrepoint aux images trop rapides des écrans. Christine Phal remarque ainsi que « le dessin permet aux artistes de revisiter notre monde avec des techniques différentes. C'est un mode d'expression qui relève du domaine du sensible. Il me touche aussi parce que, dans notre société d'images, de rapidité et de zapping, il nous confronte à une image que l'on ne peut plus zapper, il rend possible un dialogue et ne fait pas que passer comme celles de notre société actuelle ».

A cet essoufflement auquel semble parvenue notre société contemporaine « ensevelie sous l'image » note encore Vincent Sator, le dessin semble être la promesse d'une réappropriation possible de ce qui sans cesse défile et, du même coup, échappe. C'est la démarche suivie par Eric Manigaud, que sa galerie représente. Travaillant à partir de photographies trouvées dans les journaux ou les manuels d'histoire, l'artiste peut passer jusqu'à six mois à les déchiffrer, décortiquer, analyser, avant de les recomposer au crayon, dans un geste aussi délicat que minutieux par lequel l'image, qui autrefois ne faisait qu'apparaître dans un flux, se révèle et se donne enfin. Par l'étude attentive qu'il requiert ici, le dessin force l'oeil à mieux voir et discerner, à comprendre et à s'investir dans les images qu'il a l'habitude de laisser passer. L'investissement de l'artiste déclenche celui de son spectateur, et force l'admiration autant que la prise de conscience.

Le dessin se ferait dès lors accès privilégié au réel, qu'il permettrait d'analyser et de voir en profondeur. Ainsi des architectures fantasmatiques déployées au crayon sur papier par Thomas Huber, dont l'exposition Extase actuellement au Centre culturel suisse permet d'apprécier l'oeuvre. « Au départ de mon travail, il y a toujours la question de l'image » explique l'artiste qui, travaillant in situ dans l'espace d'exposition, tente d'y imprimer de nouvelles images par le dessin qu'il en fait. Dans des paysages sur papier recomposés d'après la salle principale d'exposition, l'artiste suisse intègre les formes de ses fantasmes et les rend visibles par son crayon – celui d'un sexe qui d'effrayant deviendrait beau et omniprésent, celui de l'appropriation du monde environnant rendu possible par le dessin... Inspiré par les architectures de papier produites à la Révolution par un Etienne-Louis Boullée, il aime à explorer les infinités de possibles contenues dans le dessin, qui peut se prolonger ou s'effacer selon la main de l'artiste autant qu'à travers l'esprit du spectateur.

Vocabulaire de signes et d'images aussi personnel qu'il a vocation à devenir universel, le dessin traduit la tentative de plus en plus urgente de se réapproprier un monde toujours plus fuyant ; d'en reconstruire une image capable de signifier la présence humaine et l'émotion. En ce sens, le dessin est autant une porte d'accès à l'extériorité qu'à l'intimité la plus secrète. Ainsi en est-il chez Guillaume Pinard, représenté par la galerie Anne Barrault, chez qui la galeriste aime la faculté à dessiner des chemins toujours inédits vers de nouvelles portes de l'âme. Par son dessin volontairement enfantin, l'artiste reproduit un rapport presque naïf au monde, invitant à retrouver le regard émerveillé de l'enfant devant sa beauté immédiate. C'est par ce regard, personnel et intime, que l'artiste invite à redécouvrir l'espace environnant autant qu'à le reconstruire par l'imaginaire qu'il peut convoquer.

 

VERS UN ART TOTAL

Eclatement des codes et des médiums, autonomie presque absolue de création, extension effrénée des supports, le dessin contemporain semble jouir d'une liberté quasi totale qui repousse toujours plus loin les limites qu'on a voulu lui imposer. Aux codes et aux sujets ordonnés par l'Académie, aux normes de lecture imposés par es critiques classiques, qui privilégiaient la ressemblance à l'antique ou à la réalité, les artistes contemporains substituent aujourd'hui dans leur pratique du dessin une pleine indépendance et un total affranchissement, le délivrant progressivement de tous ses carcans.

« Finalement, toutes ces catégories ne sont pas importantes. Aujourd'hui tout est imbriqué, les artistes touchent à tout et passent souvent d'un médium à un autre. Il n'y a plus de frontières, et heureusement car c'est ce qui distingue l'art de l'artisanat, on n'est pas ici dans l'application d'une technique précise » explique Anne Barrault. Ainsi les échanges entre le dessin et les autres formes artistiques n'indiquent plus tant une insuffisance du médium à exister pour lui-même qu'une tendance générale de l'art contemporain dans lequel les galeristes remarquent des allers-retours constants entre les différentes formes d'expression.

Pour Hélène Lacharmoise « l'artiste est plus libre aujourd'hui de s'exprimer par différents supports, d'utiliser différents matériaux pour faire une ligne. » Chez Nina Ivanovic, l'artiste qu'elle propose en focus à Drawing Now, elle aime que les œuvres soient du dessin en deux dimensions, qui frôle néanmoins toujours la troisième. Accrochés au mur, ses dessins faits de fils de fer peints y projettent des ombres venues prolonger la ligne et instaurer un tout nouveau rapport à l'espace autant qu'à l'objet, placé alors dans l'interstice entre la sculpture, l'installation, l'ombre chinoise et le dessin.

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