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Malo Gagliardini

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Le corps humain est composé de milliards de cellules. Il y a près de 7 milliards d’êtres humains sur terre. Le béton est le matériau privilégié pour la construction des grands ensembles. Nike est la marque de sneakers la plus vendue au monde. La durée de vie d’un ventilateur de maison peut aller de 3 à 35 ans – ils sont souvent remplacés avant. Il existe des gens qui construisent chez eux des véhicules de guerre de bric et de broc – au Tadjikistan autant qu’aux États-Unis. Il existe des liens entre tous ces éléments, sur lesquels Malo Gagliardini s’arrête – « dans la vraie vie » autant que sur Internet – et avec lesquels il compose, lui aussi, de bric et de broc. L’art de l’assemblage de Malo Gagliardini a pourtant peu à voir, dans sa forme, avec le mouvement éponyme qui l’a précédé dans l’histoire de l’art à partir des années 1960. Des hybridations qu’il façonne émerge une esthétique de l’épure, presque design. Leur aseptisation les place sur un seuil entre deux mondes. Mi-objets mi-œuvres, leur beauté naît de leur simplicité et de l’amour de l’artiste-inventeur pour une certaine idée de la belle forme.

Malo Gagliardini est diplômé de l’école des beaux-arts d’Angoulême puis de celle de Montpellier, qu’il a rejointe en quittant la première dans l’idée de faire de la sculpture, mais surtout d’expérimenter. Des idées, l’artiste-sculpteur-Géo-trouve-tout-photographe-musicien semble en avoir mille à la minute. Elles naissent d’une observation à la fois minutieuse et instantanée du monde qui l’entoure, et dont il aime recomposer les plans à la main, à son échelle, et sous toutes les formes que lui auront inspirées l’impulsion et le hasard. Hasard de la découverte d’un objet abandonné sur le chemin ou d’une image suggérée sur Google, l’artiste se laisse guider par ce qui tombe devant lui, l’extrait de son monde originel et l’expérimente – jusqu’à, peut-être, réussir à trouver le sens qui lui corresponde le mieux, si tant est qu’il y en ait un.

Les œuvres polymorphes de Malo Gagliardini sont des métaphores et des tentatives de saisissement. Des HLM pour cailles – petits nichoirs à oiseaux migrateurs empilés jusqu’à construire une barre d’immeuble miniature – aux incubateurs d’In vitro n°2 – astucieux assemblages en forme de cercueil à l’intérieur desquels ont éclos neuf œufs de ces mêmes oiseaux achetés en barquette dans le commerce –, les constructions hybrides de l’artiste court-circuitent la banalité de toutes les petites et grandes choses qui nous entourent. Elles en miment la beauté des formes : celle brevetée par le marketing ou le design, et à laquelle il oppose la sienne. Elles en imitent le fonctionnement par la correspondance et activent, par l’ironie, la possibilité de s’étonner devant ce à quoi nous sommes depuis longtemps habitués. Les petites boîtes-appartements dans lesquels les oiseaux n’ont aucune envie de s’empiler pour aller dormir saisissent par leur absurdité et évoquent, inéluctablement, des dortoirs d’une autre échelle. L’inconfort est rendu étranger, projeté dans une autre dimension. Il faut faire attention aux cailles qui circulent dans l’espace, ne pas les écraser lorsqu’on se rapproche pour voir de plus près. L’écart et la tension introduits par l’artiste sont les éléments déclencheurs d’une mise en abîme multiscalaire. Quel impact a-t-on sur le vivant ? De la caille – espèce tellement transformée par l’humain qu’elle ne sait plus se reproduire toute seule – aux foules installées dans les habitations à loyers modérés, qui décide pour qui ? Comment trouver sa place ? L’ironie est-elle déjà présente dans les constructions industrielles qu’imitent celles artisanales de Malo Gagliardini ?

Dans son atelier-laboratoire, l’artiste explore et manipule, assimile et hybride, cherchant les formules possibles pour résoudre une équation qu’il sait d’avance insoluble. Comment composer avec les extrêmes et les absurdités des mondes qui nous entourent ? Tiraillés que nous sommes entre les feeds Instagram qui scrollent sous les doigts, les suggestions YouTube sous les clics, les news en continu sous les yeux, les plans de réaménagements urbains autour des corps, les circulations intarissables des camions de marchandises qui apportent de là-bas l’objet du moindre désir et renvoient ailleurs celui qui a été aussi vite consommé… quels espaces y a-t-il pour arrêter, ne serait-ce qu’un instant, les flux de tous ces mondes qui défilent ? Quels endroits pour se situer ? Ou au moins essayer ?

Malo Gagliardini travaille l’étonnement comme manière de déjouer la passivité du regard. Il collectionne les collections, comme manière de quantifier l’absurde. Ici des compilations d’images trouvées sur Internet de camions-de-guerre-ou-suicides construits par des résistants français sous Vichy, srilankais ou peshmergas aujourd’hui, par des fanatiques américains ou irakiens. D’une pelleteuse ou d’une Clio sont tirées des armes ingénieuses mais bien dérisoires face à celles avec lesquelles d’autres mènent ailleurs des guerres mondiales… Là, des accumulations de foules et de cellules extraites de YouTube sont décontextualisées et mises bout à bout pour montrer des humains et leurs composants microscopiques : ceux qui se rassemblent pour une manifestation, un match de foot, un concert ou un pèlerinage d’un côté ; ceux qui s’assemblent pour lutter contre un microbe, colmater une blessure, créer une nouvelle peau de l’autre. Mettre au jour les parallèles, amplifier les points de vue, pour faire émerger une constante, ou mille. L’artiste multiplie les actions et les directions, bricolant autant de pistes lancées à qui voudra bien s’arrêter avec lui au milieu des flux incessants.

Par ses instantanés, l’artiste compose un « sublime 2.0 », au sens romantique du terme. Une version augmentée de cette « delightful horror » dont parlait le philosophe Burke, contemplant l’immensité de la nature deux-cents ans en arrière. Malo Gagliardini souligne le fossé qui existe entre l’Homme et la nature, mais également entre les Hommes d’un même monde – selon qu’ils se situent d’un côté ou de l’autre de la planète. Tout est question de point de vue. Avec ses Chaises pour prendre de la hauteur – rudimentaires assises en bois aux pieds de quatre mètres de haut installées dans l’eau ou dans un champ –, l’artiste le suggère de manière littérale. Un geste simple, comique autant qu’impossible, et qu’il amplifie dans les performances auxquelles il s’essaye depuis quelques temps.

Le chercheur sort de son laboratoire masqué et met en jeu son propre corps – manière de multiplier les prises que son art peut avoir sur le monde. En coréen, il croit avoir écrit « Trump t’es moche » avant de lancer à l’ex-président, depuis un champ perdu au milieu de la campagne, une fusée au 1/1 000 000e de la taille de celles que le gouvernement américain est capable d’envoyer outre-Atlantique.

Les fluides et les circulations empruntés ici et là par Malo Gagliardini sont recomposés manuellement. Ses assemblages d’objets confectionnés, récupérés, réparés, démembrés ou commandés sur Internet – car il faut bien vivre avec son temps – rejouent la dimension vertigineuse du monde qu’il observe et les détournent. Si tout est vain alors au moins peut-on en rire. Le travail de Malo Gagliardini tient du carnaval, par lequel il contrebalance le pessimisme et l’impuissance face aux situations évoquées. Ses objets composites, à cheval entre les mondes, et ses performances presque burlesques provoquent, un court instant, un renversement des valeurs et des hiérarchies salutaire. L’artiste aux mille idées refuse de ne choisir qu’une seule voie, qu’une seule discipline, sinon celle du pied-de-nez.

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