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« Rayane Mcirdi. Le début de la fin »
Galerie Anne Barrault
15.10 - 27.11.2022

RayaneMcirdi Le bord de l'Oise, 2022.jpg

Babylone, Carthage, Chichen Itza, Constantinople, Pompéi, Teotihuacan, Volubilis, Xanadu, les exemples de cités perdues égrènent les pages de l’Histoire comme de la mythologie ; ils dépassent les frontières des temps et des continents. Que reste-t-il de leur mémoire, sous les pierres et les ruines, derrière les nuages de fumée et d’oubli, sinon des noms et des souvenirs ?

 

La cité perdue de Samir, protagoniste récurrent des films de Rayane Mcirdi, s’appelle Les Mourinoux. Ses hautes tours s’élevaient encore, à la lisière d’Asnières-sur-Seine et de Gennevilliers, à l’orée des années 2010. La merveilleuse cité d’or n’est plus ; le béton a implosé, réduit en un tentaculaire nuage de poussière que le cheval de Troie des plans de réaménagement urbain a soufflé en pénétrant le lieu. La guerre s’est achevée il y a bien longtemps ; a-t-elle-même eu vraiment lieu ? Alors que commence Le Croissant de feu, il faut, déjà, tout quitter et partir. Mais si Ithaque n’est plus, quel monde Ulysse peut-il chercher à rejoindre ?

 

Heureux qui, comme Samir, a fait un beau voyage. Ou comme celui-là, qui vainquit le démon. Et puis est retourné, plein de contes et d’images, partager entre ses parents son panthéon. Échappés en Thaïlande, au bled ou en pensée, les compagnons devisent sur le pays où s’installer et ceux avec lesquels refaire le monde. Mais où partir et que retrouver ? Des lueurs d’espoir tremblotent çà et là entre les pétales de la « Cité des fleurs », dans l’eau de la cascade graffée sur un muret en son centre, ou sur les murs du parking où ils retracent ce qui a été, imaginant ce qui pourrait être. Le Croissant de feu est une odyssée. Rayane Mcirdi un aède, dans les recueils duquel les héros affrontent tour à tour les djins de l’islam ou du passé, les adversaires non voulus de la société et leur propre reflet. Trompant l’ennui et la colère, les héros dont l’artiste fait résonner les voix, sont en quête de quelque chose qu’ils n’osent pas même formuler : sinon la terre perdue à jamais, du moins la paix.

 

Pavé d’embuches, le chemin fait se succéder des esprits et des fantômes, des figures de la culture populaire ou des générations qui nous ont précédés, des adversaires sans visage et des adjuvants dont on convoque les noms pour leur rendre hommage. Au Bord de l’Oise ou réfugiés sur Le Toit, les protagonistes partagent leurs péripéties longtemps après qu’elles ont eu lieu. Les affrontements ici sont passés, leur conclusion signée bien avant que les personnages et les publics n’arrivent. Homère nous a rapporté le récit d’après la guerre. Rayane Mcirdi nous montre le film d’après l’action. Ce qui reste après que se sont dissipés les nuages de fumée, au milieu des pierres et des ruines, physiques et mentales ; ce qui pousse par-delà elles ; ce qui s’installe par-dessus, entre elles, malgré tout. La PlayStation que l’on pose en haut de l’immeuble, la Switch dans le parking, les canapés et les chaises autour, les fleurs qui poussent après les flammes, les récits qui se tissent dans les braises sur lesquelles on a arrêté de souffler. Après Circé, Love Will Come Later ; après l’émeute, Le Toit ; après la possession, Le Bord de l’Oise ; après l’effondrement, Le Croissant de feu. Après la colère, la peine ou la nostalgie : l’ataraxie, sur laquelle peuvent enfin s’écrire les mémoires.

 

Quand les forces se retirent et quand les passions s’apaisent, restent les histoires. Ce sont elles que Rayane Mcirdi, plutôt passeur que conteur, s’est chargé de collecter. De la cité perdue, il faudra chanter le nom, pour comprendre le nouveau monde auquel elle laisse sa place. Si celui-ci reste à inventer, sa mythologie est déjà en train de se constituer. En elle poussent les germes des fleurs qui écloront bientôt.

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