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Morgane Paubert

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Morgane Paubert est diplômée de l’école supérieure d’art et de design de Reims puis de l’école supérieure d’art des Pyrénées, à Tarbes. Elle a commencé la céramique dans la première, qui n’avait alors pas d’infrastructure suffisante pour la discipline. Elle s’est spécialisée en option dans la seconde, où elle est arrivée trop tard pour bénéficier de cours de technique et de fondamentaux : ils ne sont plus dispensés en quatrième et cinquième année. Que faire alors de ces mains, dont l’artiste s’est vite rendu compte qu’elles ne pouvaient plus se passer de l’argile ? Comment composer sans mode d’emploi ? Morgane Paubert est beaucoup de choses, mais pas une technicienne au sens pur. Tant pis pour les bases, les règles, les protocoles et la technique, précieuse et sacrée, religieusement transmise de maître en apprenti. La créatrice trouve dans l’expérimentation ses propres codes et sa propre manière de composer.

Semi-autodidacte de la céramique, elle malaxe avec joie des terres de toutes les couleurs, écrase du poing la rigidité d’un métier bien codifié. Elle apprend – parfois dans la douleur – que les trous dans la poterie sont nécessaires à sa survie : inexistants, celle-ci explose dans la chaleur du feu à la recherche des poches d’oxygène. Les formes sont dépendantes de la matière, mais les contraintes ne sont pas une fatalité, découvre encore Morgane Paubert. Les orifices nécessaires seront une ressource précieuse, qu’elle multiplie, joueuse, entre les excroissances et les cavités. Par eux pénètrent l’air et le souffle de la création, venue donner une vie à ses créatures d’argile. Grouillantes, tantôt rampantes, presque crevées ou, au contraire, fièrement bombées, elles sont tout et fragment à la fois, pièces de puzzles à assembler – ou non, que l’artiste chérit dans leur singularité comme dans leur ensemble. De ses doigts elle les pétrit, les malaxe et les accompagne. Avec ses deux bras elle va jusqu’à les enlacer, donnant de son corps pour leur en créer un. C’est en explorant les limites physiques de ses matériaux et de ses propres membres qu’elle compose ses Pendus (2018). La série de formes organiques enroulées dans des sangles qu’elle laisse flotter depuis le plafond matérialise l’espace maximal qu’elle est capable de ceindre dans une étreinte avec la terre.

Questions d’échelle et de circulation : Morgane Paubert ne craint de s’essayer ni à l’une ni à l’autre. Elle expose souvent sa petite famille d’objets ensemble, en en conviant les membres successifs au fur et à mesure des générations : pièces d’école et d’atelier, celles et ceux qui ont survécu et permis aux nouvelles de s’élever vers d’autres directions. Survécu au four ou au transport, aux essais et aux palpations : la route fut longue et pavée de débris. Ceux des moules ou des dépouilles cassées au cours de l’effort, ceux qu’elle a fait exprès parce qu’elle trouvait la forme riche de possibles. Avec patience et sérendipité, la créatrice construit et augmente les membres de sa famille d’objets. Dans sa recherche en continu, elle compose sa propre grammaire de gestes et de formes. Sa technique à elle tient du « lieu à soi », un espace dans lequel elle est chez elle, pleinement, librement.

Morgane Paubert est une artisane du non-conformisme, une artiste orientée dimension utilitaire des objets. Drôle de paradoxe. Il touche presque le sacrilège. Elle voulait d’ailleurs faire du design d’objet quand elle est arrivée aux Beaux-Arts, mais on l’a fait tomber dans l’art sans lui demander son avis – les aléas de l’orientation… ; il faut pourtant croire qu’elle s’y plaît aujourd’hui. Les tuyaux de plomberie l’inspirent autant que les musées d’archéologie. Il y a dans l’un et l’autre un passage, d’un état à l’autre, d’un avant à un après, et une vie qui se tisse à travers eux. Il y a dans l’un et l’autre des sillons et des chemins à explorer, dans leurs formes et leurs couleurs, leurs rouilles et leurs fissures, leurs trous et leurs poussières. La créatrice s’en émerveille, aussi curieuse que joyeuse : elle les transpose en émaux et en engobes, en glaçures, coulures et granulosités. Avec ses mirettes, ses fils et ses seringues de sculptrice, elle travaille les imperfections, comble les manques et recompose les petits morceaux des imperceptibles vies qui l’entourent.

L’expérimentation et l’exaltation de la matière, dans toutes ses potentialités : voilà désormais le savoir-faire de Morgane Paubert. La praticienne érige l’argile, tourne les feuilles de porcelaine ou coule la matière liquide dans des moules. Ses formes sont extraites de la galaxie du biomorphisme, pour laquelle elle compose, création par création, de nouvelles étoiles. Dans le répertoire qu’elle met au jour se côtoient des courbes et des contre-courbes, des intérieurs et des extérieurs, du minéral et du vivant. Des pots longent des bouts de jambe sur les étagères de l’atelier, des boîtes à bijoux des peaux de terre. Le répertoire, vivant, est en tension. Il correspond bien aux petites mains de l’artiste-artisane-céramiste-designer.

Ses cruches et ses bols n’ont pas de anse, ses sculptures en ont pour quatre paires de mains ; ses épis de faîtage ne tiendraient pas sur un toit, ni a priori les pièces de plus d’un mètre qu’elle installe debout dans le four. Ceux qu’elle a composés pour la série Instable (2019) n’auraient physiquement pas dû résister à la cuisson. Les corps ont pourtant survécu. Ils ont enfanté six morceaux de colonnes, qui ont à leur tour fait germer les Soliflores (2020) – une version réduite et véritablement utilisable cette fois : délicats tuyaux-roseaux de porcelaine dans lesquels on peut mettre un peu d’eau et une tige, pour de vrai. Morgane Paubert n’hésite plus. Elle concilie. Elle choisit d’être tout plutôt qu’à moitié. Artiste sur les marchés et dans les salons d’antiquaires, artisane dans les foires dédiée à la sculpture contemporaine, elle place parfois des pièces dans une boutique de créatrice, et alors ?

Son atelier est un antre et un ventre, dans lequel elle travaille les pains de terre sans fléchir, les transforme en biscuit et les glace. Exploration des limites, sans en poser aucune. La terre est un tamis dans lequel elle passe les mondes qui l’entourent, parce qu’ils sont plus beaux ainsi. Des bouts de corps et des flaques d’eau, des morceaux de souvenirs, d’objets d’art ou du quotidien : la matière engloutit et digère tous les objets que l’artiste fait passer entre ses mains. Elle est fertile, à exalter. Voilà la tâche que Morgane Paubert a finalement choisie.

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