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Rosa Aiello,
The Victim (2019)

FRAC Lorraine,
Janvier 2023
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The Victim, 2019, 28 impressions sur papier perlé, 10x15cm chacune.

 

Aussi douloureux qu’ils puissent être, il y a des rituels et des croyances qui continuent de se transmettre de génération en génération. Sans frémir, celles et ceux qui les perpétuent n’ont pas peur des cauchemars qu’ils peuvent inspirer ni des séquelles qu’ils peuvent laisser. Bien que la passation s’opère parfois dans les larmes, elle cache souvent une heureuse promesse. Quelles épreuves les femmes ne doivent-elles pas endurer parce qu’il « faut souffrir pour être belle » ! Rosa Aiello est une artiste protéiforme aux grands sens de l’humour et de l’observation. C’est avec eux qu’elle nourrit ses textes et ses films, ses collectes d’images et de sons, dans son histoire personnelle comme dans celles collectives, pour créer un vaste panorama des manières dont asservir les femmes au quotidien. De Montréal à Francfort, en passant par Oxford : la Canadienne-Italienne a parcouru l’Occident avec ses études et ses expositions, et y a observé, partout, la même cruauté, anodine et banale, envers les femmes de ces pays, qu’elle appelle à s’unir !

Parmi les plus initiatiques des rites qu’elle a recensés : le perçage des oreilles des petites filles chez leur bonne marraine la fée, Claire’s. Minutieusement documenté par Rosa Aiello, celui-ci a tout l’air d’une séance de torture. La série d’impressions fait défiler les petites êtres, entourées de leur mère et de quelques valeureuses sages-femmes-perceuses, de l’insouciance à l’âge mur. Si, sur la chaise, elles sourient d’abord timidement, les visages se crispent au fur et à mesure qu’approche la sentence. Les corps se contractent – celui des mères le premier, tortionnaires aimantes qui savent très bien ce qui arrive –, jusqu’à ce que tombe le couperet. Le pistolet ou l’aiguille trouent les lobes et font couler les larmes. Heureusement, la récompense succède vite au supplice : les courageuses princesses ont bien mérité leurs couronne et diamants.

Pourquoi vouloir se rassurer alors que le pire n’est pas encore arrivé ? Entre les photographies, l’artiste se fait amie-complice et prépare déjà à la suite. Les cartels sur lesquels elle a fait imprimer des réponses à un sondage sur la simulation orgasmique, une déclaration d’amour douteuse ou des tutoriels de séduction pour toute relation toxique, annoncent certains des sacrifices qui attendent chaque âge.

L’ironie et le sarcasme permettent de mettre à distance. Ce faisant, ils rassurent, viennent empêcher tout sentiment de solitude. Mais dans le vide laissé par le rire et les larmes s’immisce bientôt le doute, du moins espérons-le ! À quoi bon s’infliger tant d’épreuves ? Sur quelles fables reposent nos constructions sociales ? Que créent-elles, sinon un conditionnement psychologique universel ? Et comment continuent-elles de se transmettre ? C’est de l’absurdité de certains morceaux de vie autant que d’une fable, justement, qu’est née la triste compilation de l’artiste cynique : Little Tales of Misogyny est un recueil de nouvelles écrites par Patricia Highsmith, sorte de manuel satirique des nombreuses et banales situations du quotidien à travers lesquelles s’installent – jusqu’à en devenir naturelles – les injonctions imposées au sexe féminin de nos sociétés. Avec The Coquette et The Prude, The Victim fait partie d’un ensemble adapté du même évangile féministe. De la série d’impressions doit naître un film, en collaboration avec l’actrice Mackenzie Davis, qui entend explorer le conditionnement des petites filles par la douleur. À travers la vaste fresque que Rosa Aiello met en forme ne s’esquisse aucun espoir d’être graciée. Sombre destin. Peut-être donnera-t-elle tout de même envie de se révolter ?

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